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Le drame libanais (7) : la «révolution du Cèdre» en péril

Géopolitique

Les lecteurs de ma chronique de géopolitique se souviendront des six textes consacrés au drame que vit le peuple libanais depuis plusieurs décennies. Ces textes, publiés entre mars 2005 et mars 2007, constituent une synthèse des facteurs qui ont ramené ce petit état du Moyen-Orient au bord de la guerre civile, après quinze ans d’une paix et d’une stabilité précaires.

En 2005, suite à l’assassinat de l’ex-premier ministre Rafic Hariri, le peuple libanais est descendu dans la rue pour exiger la fin de la tutelle syrienne et le départ des troupes syriennes, qui occupaient le Liban depuis la fin de la guerre civile en 1990. C’est ce qu’on a appelé la «Révolution du Cèdre» (le cèdre étant l’emblème national du Liban), ou encore l’«Intifada de l’indépendance» (une allusion aux deux Intifadas, en 1987-88 et en 2000, nom donné aux révoltes du peuple palestinien contre l’occupant israélien).

De fait, en avril 2006, les troupes syriennes ont quitté le Liban, mais le président syrien Bachar El-Assad ne renonça pas pour autant à exercer une influence politique sur le Liban. Il faut rappeler que de 1918 à 1943, la France a occupé l’ensemble des territoires formant le Liban et la Syrie actuels; et c’est le pouvoir de tutelle français qui avait décidé, en 1920, de détacher le Liban (alors à majorité chrétienne) de la Syrie majoritairement musulmane. Or, historiquement, les Syriens ont toujours considéré le Liban comme une simple province du Bilâd Ech-Cham (le pays de Damas) qui, dès la conquête arabe du 7e siècle, comprenait également la Jordanie et la Palestine.

La mosaïque politique et confessionnelle du Liban est très complexe. Par contre, on peut dire sans se tromper que la grande majorité des chrétiens et des musulmans sunnites ont appuyé la «révolution du Cèdre», alors que la grande majorité des musulmans chiites, ainsi qu’une minorité de chrétiens, ont continué à appuyer une relation privilégiée entre le Liban et la Syrie.

Depuis 1970, le régime Assad en Syrie s’appuie sur la minorité alaouite (une branche des musulmans chiites), qui ne représente que 10% de la population syrienne, alors que les chiites Libanais constituent la majorité des musulmans du Liban, eux-mêmes majoritaires au Liban depuis l’exode de bon nombre de chrétiens libanais vers l’Occident pendant la grande guerre civile (1975-1990). En 1982, Hafez El-Assad, père de l’actuel président, avait ordonné une répression sanglante des habitants de Hama et de Homs. Cette intervention avait coûté la vie à plus de 20 000 Syriens dans ces deux bastions de l’Islam sunnite. Près de trente ans après, l’histoire se répète, sauf que la répression s’étend maintenant à tout le territoire syrien et que les grands médias internationaux ainsi que les média sociaux couvrent davantage ce drame.

Jean Cermakian est professeur associé au Département des sciences humaines, Section géographie.

Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas étonnant que le Hezbollah libanais, de confession chiite appuie le régime syrien de Bachar El-Assad. D’autre part, depuis les attaques aériennes d’Israël sur le Liban (été 2006), le Hezbollah fait figure, pour une majorité de Libanais, de mouvement héroïque dans la défense de l’intégrité du territoire libanais, notamment au Sud-Liban, sa région d’origine, où il a pallié à l’absence de l’armée et de l’administration libanaises, en s’occupant notamment de défense, mais aussi de santé et d’éducation. Aidé par la Syrie mais aussi par l’Iran (majoritairement chiite), le Hezbollah est devenu une force politique incontournable. Depuis juin 2011, il fait partie de la coalition au pouvoir et détermine l’orientation politique du Liban, en association avec les chrétiens du «Courant patriotique libre» du Général Michel Aoun.

Les partisans de la «révolution du Cèdre» forment maintenant l’opposition parlementaire, mais contrôlent toujours l’armée et les forces de sécurité. Ces dernières, dirigées par le colonel sunnite Wissam El-Hassan, se sont efforcées de traquer ceux qui menacent l’intégrité politique et territoriale du Liban. Le 19 octobre dernier, le colonel Hassan a été tué dans un attentat à la voiture piégée, en plein cœur du quartier chrétien d’Achrafieh à Beyrouth. Au-delà de sa personne, étaient visés les politiciens chrétiens et sunnites, mais aussi tous ceux qui ont à coeur un Liban démocratique, pluraliste et uni. L’affrontement entre milices sunnites et chiites, suite à cet assassinat, met en péril la stabilité et les valeurs de la «révolution du Cèdre», dans un monde arabe en pleine mutation. Et comme toujours depuis leur indépendance, les Libanais sont victimes de l’immense bras de fer entre l’Iran et ses alliés d’une part, l’Arabie Saoudite et les pétromonarchies du Golfe Persique d’autre part, sans oublier Israël.

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