La truite mouchetée peu affectée par les travaux sur l’axe routier 73/175
Au cours des dernières années, le ministère des Transports du Québec a mené de grands travaux dans la Réserve faunique des Laurentides et le Parc national de la Jacques-Cartier, afin d’élargir à quatre voies, avec chaussées séparées, l’axe routier 73/175 reliant Québec à Saguenay. À l’amorce de ce chantier, en septembre 2005, le Ministère a confié un mandat d’envergure au chercheur en écologie aquatique Pierre Magnan, de l’UQTR : diriger un projet de recherche à grand déploiement visant à quantifier l’impact de l’élargissement de la route sur l’omble de fontaine – communément appelé truite mouchetée – et son habitat. Quelques années plus tard, le professeur Magnan et son équipe en arrivent à la conclusion que les travaux routiers, tels que menés sur le territoire à l’étude, n’auraient eu à court terme qu’un faible impact sur les populations d’ombles de fontaine.
« La Réserve faunique des Laurentides est un territoire particulièrement riche en ombles de fontaine, souligne le professeur Magnan. Le Ministère voulait donc s’assurer que les mesures d’atténuation utilisées sur le chantier autoroutier étaient efficaces pour protéger cette ressource. Pour effectuer cette vérification, nous avons étudié la dynamique sédimentaire des cours d’eau et la qualité de l’habitat de reproduction et d’alimentation de l’omble de fontaine en bordure de la route. Cette dernière traverse 269 cours d’eau susceptibles d’être affectés par les travaux routiers. Nous avons positionné des sites d’échantillonnage en amont et en aval de plusieurs de ces cours d’eau, pour la collecte de données avant, pendant et après la réfection de la route. Nous nous sommes aussi intéressés aux mouvements des poissons à proximité des lieux de construction. »
Le professeur Magnan était secondé dans ses travaux par les chercheurs Michel Lapointe (géographie, Université McGill) et Marco A. Rodríguez (chimie-biologie, UQTR), ainsi que par une imposante équipe composée de 2 étudiants au doctorat, 4 professionnels de recherche et 17 assistants de terrain et de laboratoire.
Des mesures de protection efficaces
Les résultats obtenus par les chercheurs, à l’aide de différentes techniques (voir encadré), ont révélé que les travaux de construction n’ont eu que des effets ponctuels sur la charge sédimentaire des cours d’eau et le nombre de sites de reproduction de l’omble de fontaine. De plus, aucun effet n’a été constaté sur l’abondance et les mouvements des poissons.
L’étude a aussi permis de confirmer l’efficacité des mesures de protection de l’environnement utilisées pour réduire l’impact des travaux sur l’habitat du poisson. Dans près de la moitié des cours d’eau évalués, ces mesures ont été suffisamment efficaces pour qu’aucune charge sédimentaire supplémentaire ne soit détectée, en période de construction. Dans les autres cas, certaines conditions météorologiques extrêmes ou des incidents isolés ont pu expliquer une hausse des sédiments. Toutefois, dans l’année suivant cette augmentation, la quantité de sédiments est revenue à un état comparable aux conditions initiales, possiblement en raison du lessivage causé par les crues saisonnières.
« L’augmentation des sédiments dans certains cours d’eau a été associée à une météo défavorable et de fortes pluies, rendant moins efficaces les mesures de protection. Cette hausse sédimentaire s’est accompagnée d’une légère diminution du nombre de sites de reproduction en aval de la route. Ce nombre est toutefois revenu à son niveau initial dans l’année suivant la fermeture du chantier. Il est aussi intéressant de constater la très grande stabilité des sites de reproduction, à la fois dans le temps et dans l’espace, et ce, quel que soit l’état d’avancement des travaux de construction. Les cours d’eau productifs sont donc demeurés productifs », d’expliquer Marc Pépino, qui a participé au projet de recherche en tant que doctorant en sciences de l’environnement à l’UQTR.
L’équipe de recherche du professeur Magnan s’intéressait aussi à l’impact des sels de déglaçage routier sur l’omble de fontaine et son habitat. Des concentrations plus élevées en chlorures ont été observées en surface et au fond des lacs de faible superficie situés près de la route et ayant un petit bassin versant. Cependant, les populations d’ombles de fontaine ne semblaient pas avoir subi de perturbations en lien avec ces augmentations de chlorures. Compte tenu de la courte période d’échantillonnage et du peu de données disponibles, d’autres études seront nécessaires pour évaluer entièrement l’impact des sels de déglaçage. L’utilisation de ces derniers, dans la Réserve faunique des Laurentides, passerait de 123 à 187 tonnes par kilomètre, à la suite de l’élargissement de l’axe routier 73/175.
Un projet fécond
Sept ans après le début du projet, le professeur Magnan se réjouit de la réalisation de cette étude sans précédent. « En plus de vérifier l’efficacité des méthodes d’atténuation employées par le ministère des Transports, nous avons obtenu de précieuses indications pour le développement de pratiques durables de construction et d’entretien des routes. Nous avons aussi recueilli une foule de données intéressantes qui alimentent les scientifiques en nouvelles connaissances et les amènent sur des pistes de recherche prometteuses en ce qui concerne l’omble de fontaine et son habitat. Le projet a aussi permis la formation d’une relève compétente, notamment en écologie aquatique et en sciences de l’environnement », souligne-t-il.
Quelques méthodes utilisées pour la cueillette de données
- trappes à sédiments
- capture et mesure de poissons
- marquage de poissons et implantation d’émetteurs (pour suivre les déplacements)
- dénombrement des sites de fraie
- mesures physicochimiques (niveau de l’eau, turbidité, débit, température, etc.)