Géopolitique
Le 25 novembre dernier, le peuple catalan était appelé aux urnes par anticipation. En effet, Artur Mas, président de la Generalitat de Catalunya (le gouvernement régional), profite d’une manifestation monstre dans les rues de Barcelone (plus d’un million de personnes) en faveur de l’indépendance, le 11 septembre dernier, pour écourter son mandat de quatre ans avec un seul objectif : obtenir un mandat pour entamer un processus référendaire sur la souveraineté de cette province du nord-est de l’Espagne. Son parti de centre-droit, Convergencia i Uniò (Convergence et Union), gouverne la Catalogne depuis près de dix ans, en coalition avec des partis nationalistes de gauche. Même si son parti a perdu des sièges, l’ensemble des partis souverainistes conserve les deux tiers des 135 sièges du parlement régional.
Comme je l’ai mentionné dans mon blogue du 24 octobre dernier, l’Union Européenne fait face à une révolte autonomiste ou souverainiste de la part de régions dont l’économie est plus prospère que celle de l’ensemble des pays auxquels elles appartiennent. La Catalogne, avec ses 7,6 millions d’habitants, représente 16 % de la population totale de l’Espagne mais produit plus de 20 % de la richesse nationale. D’autre part, malgré un statut d’autonomie depuis 1978, semblable à celui des 16 autres régions autonomes d’Espagne, le contrôle fiscal est exercé par le gouvernement central, et les Catalans prétendent qu’ils versent à Madrid beaucoup plus de taxes et d’impôts qu’ils n’en reçoivent (un déséquilibre qui rappelle les problèmes de péréquation entre Ottawa et les provinces canadiennes).
Avec la crise économique, les Catalans, également touchés par le chômage et les fermetures d’entreprises, jugent cette situation insupportable. En outre, depuis novembre 2011, l’Espagne est gouvernée par le Partido Popular (Parti populaire) de Mariano Rajoy, un parti conservateur qui a appliqué à l’Espagne des mesures radicales d’austérité, rejetées par une bonne partie de la population, et qui a une vision beaucoup plus centralisatrice de l’Espagne que ses prédécesseurs socialistes. Pour couronner le tout, le gouvernement catalan d’Artur Mas, à l’idéologie conservatrice, a également adopté une politique d’austérité décriée par la société civile catalane. Ses adversaires lui ont reproché d’avoir déclenché les élections anticipées du 25 novembre sur le seul enjeu de la souveraineté, afin de faire oublier les mesures impopulaires d’austérité de son gouvernement.
Le débat politique et identitaire en Catalogne rappelle bien sûr celui qui concerne la géopolitique des rapports de force entre le Québec et le reste du Canada depuis près de cinquante ans. Tout comme la Cour Suprême du Canada a invalidé de nombreux articles de la Loi 101 du Québec, le Tribunal constitutionnel d’Espagne, au terme de quatre années de débats ardus, a invalidé plusieurs articles du Statut d’autonomie adopté en 2006 par le parlement régional catalan afin de se doter de nouveaux pouvoirs. Les juges de Madrid ont accepté l’attribution de pouvoirs accrus en matière de fiscalité et de justice, la nomination des juges et la gestion des aéroports et des ports, mais ont refusé que le terme «nation» utilisé dans le préambule du Statut de 2006 ait une valeur autre que symbolique. Le Tribunal a accepté l’article indiquant que les Catalans devaient connaître la langue catalane, qui était langue officielle aux niveaux régional et municipal, tout en refusant au catalan le statut de «langue préférentielle». L’arrivée au pouvoir du Parti populaire en 2011 a fait monter la tension de plusieurs crans; en effet, le nouveau gouvernement espagnol remet en question 126 articles du Statut de 2006 qu’il estimer nuire à l’unité espagnole.
En conclusion, l’avenir de la Catalogne demeure incertain. Ce que l’on peut dire, c’est qu’après trente-quatre ans de statut autonome, la nation catalane a retrouvé sa fierté, son identité et son dynamisme, écrasés pendant les quarante années précédentes sous la dictature du Général Franco. Selon une enquête du gouvernement régional catalan en 2008, même si une majorité (55 %) des citoyens de la région avaient l’espagnol comme langue maternelle, contre 32 % le catalan (du fait de l’immigration vers la Catalogne à partir de régions espagnoles plus pauvres), 95 % des personnes interrogées déclaraient comprendre le catalan et 78 % le parler. Cette progression du catalan comme langue d’usage s’explique par le fait que l’éducation publique de base est offerte en catalan, sauf pour deux heures par semaine en espagnol. La langue d’affichage sur les routes et dans les institutions publiques est exclusivement le catalan, une situation qui rappelle la politique d’affichage au Québec.
Si l’avenir politique de la Catalogne demeure en suspens, les progrès réalisés par la «société distincte» catalane sont là pour rester.
Les références de notre blogueur :
- Site officiel de la Generalitat de Catalunya (gouvernement régional de la Catalogne)
- Excellent dossier sur la législation linguistique en Catalogne, concernant le statut du catalan et de l’espagnol