Le cerveau humain comporte une zone dédiée à la musique. Cette même région cervicale assumerait également une fonction sociale, liée à la communication et à notre rapport au monde. Partant de ce constat, pourquoi ne pas utiliser la musique pour aider les enfants aux prises avec de graves handicaps à développer leur potentiel relationnel et communicationnel? C’est ce qu’a réalisé avec succès la musicothérapeute-psychopédagogue Sylvie Ouellet, professeure en sciences de l’éducation à l’UQTR. Au cours des dernières années, cette chercheuse a mené un projet de recherche dans une école du Centre-du-Québec, lequel a permis de montrer que l’utilisation de la musique à des fins de pédagogie créative entraîne des effets positifs sur le développement des enfants polyhandicapés.
«De 2006 à 2011, je me suis associée à l’équipe d’éducateurs et d’intervenants de cette école afin de vérifier si la musique pouvait avoir un effet sur la participation et la valorisation scolaire et sociale de l’élève handicapé. Pour ce faire, nous avons intégré la musique aux différentes activités pédagogiques destinées aux enfants polyhandicapés. Cela nous a permis d’étudier de quelle façon la musique stimule la communication et favorise les expériences de groupe chez ces jeunes. Nous voulions aussi éveiller la créativité des élèves et améliorer leurs habiletés prélinguistiques, telles que le contact visuel, l’attitude posturale et l’attention», d’expliquer la professeure Ouellet.
La musique a été utilisée dans l’environnement d’apprentissage des élèves, notamment pour favoriser la détente et la concentration. Un programme musical d’exercices psychomoteurs a aussi été expérimenté avec succès, pour inciter les enfants polyhandicapés à bouger et combattre l’ankylose. En collaboration avec l’enseignant-musicien, les interventions ont été orientées vers la communication et la relation avec l’autre, permettant aux élèves polyhandicapés d’apprendre et de vivre la musique en groupe. Les enfants ont pu également choisir leur musique préférée pour accompagner les images d’une vidéo illustrant leurs réussites.
L’émergence de capacités insoupçonnées
Les résultats obtenus par la professeure Ouellet et ses collaborateurs se sont révélés fort stimulants. «Ce projet a permis des avancées concrètes dans le développement et l’apprentissage des enfants polyhandicapés. Les progrès observés ont généré une grande fierté chez tous les membres de l’équipe. L’utilisation d’une approche musicale et créative a renforcé le sentiment d’appartenance chez les élèves et le sens de l’observation chez les intervenants. Les éducateurs ont vu émerger le potentiel invisible des enfants handicapés et ont commencé à les considérer sous un nouvel angle, en revisitant leur conception de la pédagogie. Les enseignants ont mentionné qu’ils ne pensaient pas que ces élèves pouvaient réaliser de tels progrès ou manifester de semblables capacités», rapporte la chercheuse.
Des résultats tangibles
Mettant à contribution la musique et la créativité, le projet pédagogique dirigé par la professeure Ouellet a entraîné des retombées positives…
… chez les élèves polyhandicapés
- meilleure disposition personnelle à communiquer
- développement du répertoire communicationnel
- amélioration des habiletés linguistiques (contact visuel, attention, concentration)
- modification des attitudes (relation aux autres et à l’environnement)
- plaisir dans la participation à une activité de groupe
… chez les éducateurs
- surprise et enthousiasme devant les progrès des élèves
- perception plus favorable du potentiel des élèves
- meilleure confiance dans les élèves, attitude moins protectrice
- trouvent que les élèves :
- montrent plus d’autonomie, d’engagement et de spontanéité
- sont plus épanouis, attentifs, souriants et confiants
- s’améliorent quant à la communication, l’intentionnalité et l’initiative
Le projet a aussi permis de mieux intégrer les enfants polyhandicapés au milieu de vie scolaire, notamment par une participation au spectacle de fin d’année. La construction d’une aire de jeu commune réunissant élèves réguliers et élèves handicapés a aussi facilité l’inclusion sociale de ces derniers.
«Je crois que ces réalisations ont ouvert une porte à la valorisation des élèves polyhandicapés et de leur apprentissage, constate la professeure Ouellet. Très limités par leurs handicaps, ces enfants sont peu spontanés. La musique leur fournit une solution de rechange là où s’arrêtent les mots, car elle demeure un langage universel qui parle à tout le monde. Elle fournit aux enfants polyhandicapés des outils supplémentaires pour communiquer.»
La chercheuse note également que la musique procure un cadre d’intervention pédagogique riche en expériences de plaisir, de réussite et d’interactions pour les personnes ayant des limitations graves. L’utilisation de la musique favorise l’épanouissement de l’enfant handicapé, en tant qu’apprenant à part entière.
«Le but ultime de cette approche psychomusicale est d’amorcer un état de bien-être, une communication expressive, un sentiment d’autodétermination et de confiance en soi chez les enfants handicapés. Ces progrès facilitent le contact avec l’autre et l’environnement et servent la construction du lien social. Trop souvent, nos interventions pédagogiques s’appuient sur un savoir théorique de l’enfant fragile ou de l’élève à risque. Peu de considérations sont accordées à la personnalité de l’enfant et aux caractéristiques pouvant signaler un possible talent à développer. Ce projet de recherche a permis non seulement d’explorer les outils à mettre en place pour stimuler les élèves polyhandicapés, il a aussi incité une équipe à se questionner collectivement sur le potentiel invisible à faire émerger. Je suis d’ailleurs heureuse de constater que ce projet, aujourd’hui terminé, génère encore des retombées constructives dans les milieux scolaires», rapporte Mme Ouellet.