Depuis quelques mois, la République de Chypre s’ajoute à la liste des pays du Sud de l’Europe qui font face à une crise économique sans précédent depuis la grande dépression des années 1930.
Située près du littoral sud de la Turquie et de la façade est de la Méditerranée (Liban et Syrie), l’île de Chypre occupe une position stratégique sur les parcours maritimes reliant l’Europe de l’Ouest aux grands ports du Moyen-Orient, de la mer Noire et, par le Canal de Suez, des États pétroliers du Golfe Persique. Avec une superficie de 9 000 km2, et une population de 1,1 million d’habitants (75% de Grecs, 22% de Turcs, 3% de communautés diverses : Britanniques, Russes, Libanais, Arméniens), c’est l’un des plus petits États de l’Union Européenne dont elle fat partie depuis mai 2004, et de la Zone EURO dont elle est membre depuis janvier 2008. Le nord de l’île ( 43% du territoire) est occupé militairement par la Turquie depuis 1974 et constitue une «République turque de Chypre du Nord» non reconnue par la communauté internationale; ce pseudo-État souverain utilise la livre turque et ne fait donc partie de la Zone EURO ni de l’Union Européenne, qui considère que l’autorité de la République de Chypre devrait s’étendre sur l’ensemble de l’île, et pas seulement sur la partie Sud.
L’une des conséquences de l’occupation par la Turquie de près de la moitié de l’île a été une déstructuration de son économie, basée avant 1974 sur le tourisme (plages, édifices religieux et sites archéologiques) et sur l’agriculture. L’économie du nord de Chypre, sous tutelle turque, a été artificiellement maintenue en vie par les fonds publics turcs et par l’existence de casinos. Un semblant de réveil de l’agriculture a été encouragé par les autorités turques avec la venue de quelque 90 000 colons turcs «importés» sur l’île par le gouvernement d’Ankara; ces colons ont repris les fermes et les terres des agriculteurs grecs chassés du Nord de Chypre par les autorités turques. Il a donc fallu trouver des moyens de subsistance pour les citoyens de la République de Chypre, désormais confinée à la moitié Sud du pays et peuplée essentiellement de Chypriotes grecs.
La République a fait le pari du secteur financier, tout comme l’avaient fait plus tôt d’autres pays européens aux dimensions réduites et pauvres en richesses minières, pétrolières ou industrielles (Jersey, Malte, Luxembourg, Liechtenstein, Andorre, Monaco). Un taux de taxation réduit et une adhésion à la Zone EURO ont fait de la République de Chypre «la Petite Suisse de la Méditerranée» aux dires des politiciens chypriotes eux-mêmes. Des capitaux européens et arabes ont afflué vers les institutions financières de l’île depuis près de 40 ans. Enfin, depuis 1992, Chypre a vu déferler les capitaux des oligarques russes, ces derniers cherchant à faire fructifier leurs revenus tirés de la privatisation d’une bonne partie de l’économie ex-soviétique. C’est ainsi que la deuxième ville du pays (et son deuxième pôle financier après Nicosie, la capitale), Limassol (surnommée «Limassolgrad»), a vu sa population augmenter fortement avec l’implantation d’environ 30 000 citoyens russes, soit employés soit clients du secteur bancaire chypriote.
L’éclatement de la bulle financière chypriote à partir de l’été 2012 est dû au manque de régulation des banques du pays par les autorités, mais aussi par le fait que les deux principales banques chypriotes, la Trapeza Kyprou (Bank of Cyprus) et la Laiki Trapeza (Laiki Bank), avaient investi massivement dans les obligations et autres produits des banques grecques, perdant ainsi plus de 4,5 millions d’euros lors de la restructuration du secteur financier de la Grèce entre 2010 et 2012.
La presse internationale a largement couvert le naufrage financier des banques chypriotes au mois de mars 2013, une sorte de thriller politico-financier qui a non seulement fragilisé la classe politique et l’économie de Chypre, mais également mis à mal la crédibilité des institutions de l’Union Européenne (Commission, Banque Centrale Européenne, EURO Groupe). Plus que jamais, au coeur d’une crise économique qui dure depuis cinq ans, l’idée européenne recule. L’Europe est de moins en moins celle des peuples et des citoyens, et de plus en plus celles des banques et de la finance.
Références Web:
Article de Wikipédia sur la République de Chypre
Site du Ministère des Affaires étrangères de la République de Chypre (en anglais)
Situation ethnolinguistique de l’île de Chypre (site de l’Université Laval)
«Le magasin de porcelaine chypriote» – Le Monde, cahier «Géo & Politique», 24-25 mars 2013.