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L’Hôpital Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul : laboratoire de la pensée clinique en déficience intellectuelle

Collaboration : Lucia Ferretti

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Lucia Ferretti est professeure au Département des sciences humaines de l’UQTR.

En 1964, l’Hôpital Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul est un gros établissement psychiatrique. Ses 1300 à 1400 hospitalisés, en grande majorité de sexe masculin, sont presque tous classés comme «déficients mentaux» selon la terminologie de l’époque. Cette année-là, les Petites Franciscaines de Marie entreprennent de transformer leur hôpital du tout au tout. Jusqu’en 1975, celui-ci devient un laboratoire de la pensée clinique en déficience intellectuelle et un incubateur de structures de réadaptation implantées en milieu ouvert.

On est là devant la première expérience de déshospitalisation massive en déficience intellectuelle au Québec (presque 1000 patients sortis en 10 ans et forte limitation des entrées). Mais aussi devant le premier effort d’aussi grande envergure en désinstitutionnalisation. L’ampleur et la variété des structures de réadaptation mises sur pied par cet hôpital sont inégalées à l’époque, tout comme le transfert dans la communauté de l’expertise qu’il développe. C’est pourquoi on peut dire qu’au Québec, les Petites Franciscaines de Marie ont joué un rôle précoce et majeur dans l’émergence et le déploiement du paradigme de l’intégration sociale pour les personnes vivant avec des incapacités intellectuelles. Il faut désormais intégrer cette donnée dans la mémoire collective du milieu de la déficience intellectuelle.

Énumérons

Centre médico-psycho-pédagogique visité au milieu de la décennie par plus de 2000 intervenants par année, dont certains de renommée internationale; ateliers à visée de rééducation pour adolescents;

Activités individuelles structurées et jeux de groupe pour les enfants très atteints; colonie de vacances pour les jeunes avec besoin de soutiens de toutes intensités;

Scolarisation et activités parascolaires adaptées et vaste réseau de foyers. Ensuite, individuels, collectifs, de transition, et de groupes de réadaptation, et ce, alors que le gouvernement fédéral privilégie le financement de solutions institutionnelles comme les centres d’entraînement à la vie;

Mise sur pied d’ateliers de travail protégés dans un but de réadaptation, pour des adultes vivant avec déficience moyenne ou profonde;

Intervention et recherche en rééducation et activités thérapeutiques pour les patients aux diagnostics les plus sévères; et, après 1973, «normalisation» le plus possible des conditions de vie de ceux encore internés.

Telles sont quelques-unes des structures alors mises sur pied par l’Hôpital Sainte-Anne. L’ensemble de la réadaptation vise à «repersonnaliser» les hospitalisés et à les rendre autonomes autant que possible. On y travaille selon des approches développementales.

Parallèlement, l’Hôpital transfère son expertise. Le Service des foyers initie le centre de service social à la prise en charge des personnes placées en foyer. Le Centre médicopsychopédagogique (CMPP) devient la pépinière des premières classes spéciales dans Charlevoix; il sera finalement intégré à la commission scolaire régionale. Par ses stages et ses programmes de formation professionnelle, le CMPP contribue aussi au rehaussement de l’expertise partout au Québec. Les ateliers protégés sont cédés à une corporation sans but lucratif. Une ancienne employée de l’hôpital devient une des premières expertes en évaluation de programmes au  ministère des Affaires sociales. En 1973, c’est à Baie-Saint-Paul qu’est effectuée, pour la première fois au Québec dans un établissement, la Planification des services individualisés. Et en 1975, l’Hôpital prend le leadership des intervenants régionaux pour déterminer les ressources à créer directement dans la communauté.

En finançant cette expérience, le gouvernement québécois s’est familiarisé avec les idées de désinstitutionnalisation et de «normalisation», qu’il a adoptées notamment dans l’espoir de contrôler les coûts croissants de l’institutionnalisation. Il s’est aussi préparé à mettre en œuvre la solution du «tout à l’État», inédite ailleurs au Canada. Son soutien à l’Hôpital Sainte-Anne l’a sensibilisé aux revendications des associations de parents, qui lui demandaient d’assumer la pleine responsabilité tant du financement et de la gestion des petites structures qu’elles-mêmes avaient mises sur pied que de la formation du personnel et des programmes de réadaptation. Ainsi dégagées, celles-ci vont devenir des associations de défense des droits et de soutien.

Lucia Ferretti

Professeure au Département des sciences humaines et Centre interuniversitaire d’études québécoises, UQTR.

Ce texte a été diffusé dans le contexte de la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle.  Le Consortium national de recherche sur l’intégration sociale (CNRIS), organisme subventionnaire pour la recherche en déficience intellectuelle et en troubles du spectre de l’autisme, tient à mettre en lumière différents projets de recherche en cours. 

Pour en savoir plus :

Lucia Ferretti, «De l’internement à l’intégration sociale. L’Hôpital Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul et l’émergence d’un nouveau paradigme en déficience intellectuelle, 1964-1975», Revue d’histoire de l’Amérique française, Hiver 2012, 65(2-3), 329-359 (paru à l’été 2013).