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Ukraine – Russie : une nouvelle «Guerre froide»?

Géopolitique

(Première partie) – Depuis novembre dernier, nous assistons, pour la première fois depuis 25 ans (chute du Mur de Berlin) à ce qui pourrait ressembler à un nouvel épisode de la «Guerre froide» entre la Russie et l’Occident. Je me propose de consacrer ce blogue à cette nouvelle donne géopolitique européenne et mondiale. En effet, celle-ci affecte non seulement la Russie et l’Ukraine, mais aussi l’ensemble des États européens et des pays membres du G 7 et de l’OTAN. Plus près de nous, elle conditionne la politique étrangère du gouvernement canadien vis-à-vis de l’Ukraine, pays dont sont originaires près d’un million et demi de Canadiens, notamment dans l’Ouest, région-clé pour le gouvernement conservateur du premier ministre Harper.

RussiaUkraine

Le fond du problème est bien résumé dans l’éditorial du journal Le Monde daté du 16 avril dernier:

«M. Poutine ne veut pas d’une Ukraine indépendante, en tout cas d’une Ukraine qui disposerait de suffisamment de souveraineté pour conclure un partenariat avec l’Union européenne. Plutôt démanteler le pays, par la force s’il le faut. C’est ce que M. Poutine est en train de réaliser, avec d’autant plus de succès que l’Europe ne réagit guère. […] c’est plus que de la faiblesse, c’est de la bêtise doublée d’un déni de réalité. Une posture de perdants.»

Depuis son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine a comme objectif de rétablir le statut de grande puissance de la Russie, un statut perdu avec la désintégration de l’URSS en 1991 et de la décennie de déclin économique de la période des années 1992-2000 sous la présidence de Boris Yeltsine. Au cours de cette période, les États ex-communistes d’Europe centrale et orientale ont été admis comme membres de l’Union Européenne (UE) et de l’OTAN. Pour le président russe, c’était de la provocation, puisque d’anciens «pays frères» se joignaient ainsi au camp économique, politique et militaire de l’ancien rival américain.

Du point de vue russe, on peut même parler d’une mentalité d’«état de siège». En même temps, la suprématie militaire de la Russie était mise en échec dans la région de la mer Noire, face non seulement à la Turquie (membre de l’OTAN depuis 1952) mais aussi à l’Ukraine (indépendante depuis 1991), à la Roumanie et à la Bulgarie, ses fidèles alliés d’autrefois mais récemment admis dans l’UE et l’OTAN.

Cette brève mise en contexte permet de comprendre les motivations du président Poutine dans ce que la terminologie géopolitique russe appelle l’«étranger proche», autrement dit les anciennes républiques non-russes de l’ex-URSS. À défaut de recréer l’ancienne Union, le président russe veut garder un contrôle quasi exclusif sur ces pays. En ce qui concerne l’Ukraine, le message de Moscou est clair : pas question que ce pays établisse des accords d’association avec l’UE.

Un précédent existait déjà, celui de la Géorgie, qui, en 2008, voulait adhérer à l’OTAN et signer des accords d’association avec l’UE. Dans ce cas, la Russie intervint militairement et occupa une partie du territoire géorgien, forçant le gouvernement de cette ex-république soviétique à renoncer à ses projets de rapprochement économique et militaire avec l’Europe et les États-Unis.

L’histoire de l’Ukraine depuis son accession à l’indépendance témoigne de son hésitation entre le maintien de ses liens historiques et préférentiels avec son grand voisin russe et son désir de rapprochement avec l’UE, tout comme l’avaient fait ses voisins baltes et polonais. Les liens russo-ukrainiens remontent au XIIe siècle, alors que Kiev était la métropole de l’Église orthodoxe et du pouvoir russes.

Sur le plan linguistique, la langue ukrainienne, tout comme le russe, fait partie des langues slaves orientales et utilise l’alphabet cyrillique. D’autre part, des annexions territoriales survenues en 1920 (Est et Sud de l’Ukraine) et en 1954 (Crimée) ont ajouté à l’Ukraine d’importantes populations de langues russe et tatare. À ces ajouts de territoires sont venus s’ajouter des déplacements autoritaires d’ouvriers russes pour alimenter l’industrie lourde dans la région du Donbass (bassin du fleuve Don) dans l’Est de l’Ukraine, ainsi que des contingents moins nombreux des autres nationalités soviétiques (Arméniens, Géorgiens, Biélorusses, Kazakhs, Ouzbeks, etc.).

Sous le régime soviétique, l’Ukraine était le «grenier à blé» de l’Union et son principal fournisseur de charbon, d’acier et d’énergie hydroélectrique. En contrepartie, l’Ukraine dépendait du reste de l’Union pour ses besoins en pétrole et en gaz naturel, ce qui est toujours le cas. Tant sur le plan culturel que du point de vue économique, l’Ukraine demeure, deux décennies après l’indépendance, très proche et très dépendante de son grand voisin russe.

Après avoir décrit le contexte géopolitique et historique du conflit russo-ukrainien, je consacrerai mon prochain blogue aux enjeux plus récents de celui-ci, ainsi qu’aux perspectives d’avenir des relations entre l’Occident et la Russie, au-delà du cas spécifique de l’Ukraine et de l’avenir de l’espace postsoviétique.

Jean Cermakian est professeur associé au Département des sciences de l'environnement.

Jean Cermakian est professeur associé au Département des sciences de l’environnement.

Références Web de notre blogueur :

* Articles dans Wikipédia : Ukraine Ukraino-Canadiens, Crimée, Euromaïdan, Russie

Le gaz russe comme arme économique vis à vis de l’Ukraine et de l’Union Européenne

Dossier récent du réseau anglais de Radio Canada sur le conflit russo-ukrainien

Une analyse des relations politiques passées et présentes entre le Canada et l’Ukraine

Dossier du site de nouvelles français Médiapart sur l’Ukraine

Articles de la revue américaine Foreign Affairs sur le conflit russo-ukrainien

Texte intéressant d’un ancien ambassadeur de France en Ukraine sur les tensions européennes et la crise ukrainienne

Mathilde Gérard, «Pourquoi l’est de l’Ukraine n’est pas la Crimée»  (15 avril 2014)