Le site des activités des étudiants
et du personnel de l'UQTR

«On ne sait plus sur quelle orthographe danser…»

Nouvelle, bonne, rectifiée, traditionnelle, recommandée : ni une sauce ni une salade de chou du St-Hubert, plutôt l’orthographe du français. Rien de tel comme goûter pour apprécier, nous dit-on au restaurant devant un menu revampé. Eh bien voilà que nous vous proposons la pareille dans un contexte autre… Saurez-vous repérer la douzaine de mots écrits en orthographe rectifiée dans ce court paragraphe?

Linda de Serres, professeure au Département de lettres et communication sociale (Photo : Annie Brien).

Linda de Serres, professeure au Département de lettres et communication sociale (Photo : Annie Brien).

– Cet article a été rédigé par Linda de Serres, professeure au Département de lettres et communication sociale

Fin aout, j’achèterai vingt-et-un ognons pour cuisiner du ketchup aux fruits. J’amoncèlerai ainsi des conserves que nous pourrons gouter en piquenique lors de nos promenades au relai de l’ile Saint-Quentin, un de ces après-midis d’automne. Il fait si bon s’y assoir, sous le prunelier, pour diner en bonne compagnie![i]

Si vous avez remarqué avec stupeur que «aout, gouter, ile» et «diner» ont perdu leur accent, fort bien puisqu’à quelques exceptions près, les lettres «u» et «i» ne nécessitent plus depuis 1990 l’accent circonflexe en français. Quant à l’accord pluriel dans «après-midis», voilà que dorénavant, l’accord de noms composés est accepté. Le nombre «vingt-et-un» illustre une autre règle de la nouvelle orthographe : la coordination «et» utilisée pour les adjectifs numéraux n’est plus allergique au trait d’union! Finalement, le verbe «amonceler» arbore un nouvel habit orthographique avec accentuation, exit le double «ll». Du côté du «prunelier», il s’amaigrit d’un «l», les «ognons» d’un «i», le «relai» de son «s» et le verbe « «assoir» de son «e». Tout cela, dans un souci de régulariser des anomalies, des exceptions et des irrégularités de l’orthographe du français.

La langue française, bien vivante, n’a cessé de se transformer au gré des réformes. On en compte neuf en quatre siècles. La dernière remonte à 1990. S’il est admis que plusieurs décennies sont nécessaires pour voir une nouvelle graphie supplanter l’ancienne, la communauté scientifique se questionne chaque fois quant à la réception et à l’application des «nouveautés» proposées. Plus de 20 ans après l’annonce des Rectifications orthographiques de 1990, nous avons en ce sens tenu à prendre le pouls de scripteurs de l’UQTR. Notre enquête a retenu l’attention de quelque 20 membres du personnel enseignant, principalement des sciences de l’éducation, de lettres et de communication sociale ainsi que de 450 étudiants de 1er cycle, de programmes variés dont sciences de l’éducation, lettres, communication sociale, histoire, philosophie, psychologie, administration, génie, sciences infirmières et chimie-biologie.

D’entrée de jeu, il faut reconnaître que moins du quart des étudiants (21%) se disent un tant soit peu familiers aux rectifications de 1990; plus des trois quarts (79%) confessent à divers degrés leur ignorance sous ce rapport. Pareille donnée montre que pour l’instant tout un chacun préfère, par choix ou par ignorance, l’orthographe dite traditionnelle. Au Québec, puisque non prescrites officiellement dans les programmes d’enseignement, les deux graphies ont cours dans l’usage. Qui plus est, dans un même texte, un même mot peut revêtir tantôt l’une tantôt l’autre. Par exemple, on pourrait à la limite écrire en introduction d’un texte «on a servi quatre-cents dîners dans une salle exiguë», puis quelques lignes plus bas, reprendre avec «certains ont argüé que les quelque quatre cents diners requéraient une pièce moins exigüe». Que doit-on en penser?

Selon certains, ce sont les éditeurs, les enseignants et tous les scripteurs francophones qui auront le dernier mot. Au Québec, par exemple, les enseignants et les correcteurs des épreuves ministérielles respectent le mot d’ordre émis par l’Office québécois de la langue française à l’effet qu’aucune des deux formes ne peut être considérée comme fautive. Une façon, clament d’aucuns, de ménager la chèvre et le chou.

Dictionnaire

Comme si aucune réforme de l’orthographe du français ne saurait vraisemblablement s’implanter sans casser des œufs, près de la moitié des étudiants interrogés à l’UQTR (47%) se disent défavorables à ce qu’aient cours plusieurs graphies pour un même mot (ex. clé et clef ou gaîment, gaiement et gaiment). Plus d’un tiers (39%) ne s’en formalisent toutefois pas. Quelque 15% n’affiche aucune opinion marquée à ce sujet.

En milieu universitaire au Québec, soit que les deux orthographes sont dûment enseignées dans le programme de linguistique et de didactique des langues, soit qu’une consigne stipule d’enseigner la nouvelle orthographe aux futurs maîtres, soit que la politique linguistique institutionnelle libelle l’acceptation des deux graphies. Quoi qu’il en soit, étudiants et enseignants s’accordent pour dire qu’on ne sait plus sur quelle orthographe danser…

En effet, entre l’orthographe traditionnelle, l’orthographe rectifiée et l’émergence des technologies, nombreux sont ceux qui expriment des inquiétudes quant à l’avenir de l’orthographe du français. De manière à épingler les préférences orthographiques des répondants de l’UQTR, nous avons composé un paragraphe épousant quatre formes orthographiques différentes : 1. traditionnelle; 2. rectifiée; 3. sans apostrophe, sans trait d’union et sans lettres finales muettes; 4. écriture au son. Or, il appert que 65% des étudiants et 52% des enseignants expriment une préférence pour la graphie traditionnelle (choix 1); un peu plus d’un tiers (respectivement 34 et 38%) des étudiants et des enseignants affichent un penchant pour l’orthographe rectifiée (choix 2); 2% des étudiants et 5% des enseignants abondent dans le sens d’une orthographe entièrement revisitée (choix 3 ou 4).

Appelés à se prononcer sur des propositions orthographiques de 1990 avec exemples à l’appui, moins du quart des étudiants (18%) s’en réjouissent, à intensités variées. Quelque 28%, à divers degrés, disent les réprouver. Les autres (52%) demeurent  quant à eux neutres sur le sujet ou… confessent en douce leur ignorance même de l’objet d’étude.

Tout bien considéré, l’orthographe proposée il y a 24 ans ne fait pas florès au sein de l’échantillon d’étudiants et d’enseignants consultés à l’UQTR. Faudra-t-il attendre quelques décennies additionnelles pour la voir passer à l’usage? Cela tient-il au fait que les changements se veulent recommandés, mais non imposés? Et, au contraire, une imposition en aurait-il véritablement favorisé l’application? Quelles que soient les réponses à ces questions, il n’en demeure pas moins que les Rectifications de 1990 touchent environ 2000 mots de la langue française, ce qui équivaut à plus ou moins une «nouveauté» par page. L’enjeu en vaut-il la chandelle? C’est là possiblement une question qui, entre autres, refrène les ardeurs d’aucuns à emboîter le pas.

Plus important encore, est-il légitime d’avancer que quiconque répondrait avec discernement aux attentes en la matière au vu de l‘ensemble de la communauté tant francophone que francophile, et ce, dans un esprit de cohérence interne de la langue rompu à une efficacité communicationnelle, risquerait non seulement de remporter un succès véritable et durable du changement, mais de surcroît, d’accroître le rayonnement du français? Malheureusement, faut-il en définitive nous rendre à l’évidence : même si toutes agissent sur la langue, la sauce et la salade de chou du Saint-Hubert ont meilleur goût que l’orthographe… peu importe sa saveur, améliorée ou traditionnelle.

Pour se documenter plus avant

Rectifications orthographiques de 1990

Réseau pour la nouvelle orthographe du français (règles, liste de mots concernés)

Musée de la nouvelle orthographe (règles, exercices, corrigés)

Résultats plus détaillés de l’enquête menée à l’UQTR

DE SERRES, L. (2013). « Orthographe du français : représentations et difficultés en milieu universitaire francophone ». Collaboration spéciale  Québec-Mexique, Chemins actuels, Asociación de maestros e investigadores de francés de México (AMIFRAM), vol. 74, 14 pages

[i] Orthographe nouvelle et traditionnelle

En aout (août), j’achèterai vingt-et-un (vingt et un) ognons (oignons) pour cuisiner du ketchup aux fruits. J’amoncèlerai (amoncellerai) des conserves que nous pourrons gouter (goûter) en piquenique (pique-nique) lors de nos promenades au relai (relais) de l’ile Saint-Quentin, un de ces après-midis (après-midi) d’automne. Il fait si bon s’assoir (asseoir) sous le prunelier (prunellier) pour diner (dîner) en bonne compagnie!