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L’apport du microcrédit dans la lutte contre la pauvreté au Québec

Une étude menée récemment par  le professeur Ayi Ayayi et Alice Justine Ébéné, dans le cadre des travaux du Laboratoire de recherche et d’intervention sur le développement de l’entreprise dans les pays en développement (LARIDEPED) à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), démontre de manière frappante les bienfaits du microcrédit au Québec.

Ayi Ayayi

Ayi Ayayi est professeur au Département des sciences de la gestion de l’UQTR. (Photo Annie Brien)

Cette recherche a été réalisée de concert avec les clients du Fonds d’emprunt Québec, qui ont volontairement accepté de répondre à un questionnaire. Créé en 1997, le Fonds d’emprunt Québec est un organisme à but non lucratif qui donne accès au crédit à des personnes exclues des réseaux traditionnels de financement. Ainsi, il mobilise des investisseurs pour fournir une aide financière et accompagner des personnes à faibles revenus porteuses d’un projet d’entreprise.

Au total, leur analyse s’est portée sur 34 microentreprises de la région de Québec ayant bénéficié d’un crédit du Fonds d’emprunt Québec. Chaque volontaire a répondu à 53 questions concernant son expérience et les impacts du microfinancement.

La microfinance, qui désigne les services visant à répondre aux besoins financiers et bancaires des populations à faibles revenus ou exclues du système bancaire traditionnel, a connu un essor important depuis quelques années. L’évolution du crédit communautaire au Québec s’expliquerait par deux principaux facteurs : la mondialisation des marchés financiers, qui a conduit les institutions financières traditionnelles à un resserrement du crédit, et la restructuration du marché du travail qui a provoqué une montée remarquable du travail autonome (selon le rapport annuel 2003 du Réseau québécois du crédit communautaire).

Dans une optique de lutte contre la pauvreté, le chômage et l’exclusion sociale, une des stratégies adoptées par les gouvernements est le soutien au démarrage de microentreprises, grâce aux microcrédits qui visent à favoriser l’autonomie financière d’une clientèle considérée à risque, (chômeurs, personnes bénéficiant de l’aide sociale, travailleurs à faibles revenus, «sans chèque», jeunes, femmes et immigrants). En ce sens, le microcrédit au Québec s’inscrit dans une dynamique sociale qui vise la réintégration des individus dans la société et leur soutien dans un processus d’accomplissement personnel, social et économique.

L’étude qu’ils ont réalisée avait pour but de démontrer la pertinence de la microfinance au Québec en tant qu’outil répondant à une demande réelle, celle de combler le «creux bancaire» laissé par les institutions financières traditionnelles, et de voir jusqu’à quel point le microcrédit était avant tout destiné à la création de microentreprises qui constituent une voie d’insertion économique et sociale pour un certain nombre de bénéficiaires. En effet, les banques sont généralement grandement réticentes à prendre en charge des projets qu’elles jugent risqués : 82% des répondants ont essuyé un refus auprès des institutions bancaires traditionnelles. Parmi ceux-ci, 55% se sont vu refuser un crédit pour absence de garanties et 23% pour mauvaise cote de crédit.

L’hypothèse de base supposait que le microcrédit, à travers la création de microentreprises, favorisait l’autoemploi et permettait une certaine stabilisation des revenus supérieurs à ceux du bien-être social. À ces avantages s’ajoutent la réduction du coût du chômage pour la collectivité et l’accès au financement pour le démarrage d’une première entreprise, particulièrement dans le secteur des services.

Cette étude a donc mis en évidence la contribution des microentreprises au niveau de la famille/ménage, au niveau individuel, et au niveau de l’entreprise. De manière plus précise, le crédit obtenu conduirait à une augmentation du revenu du ménage et à l’amélioration de son bien-être, comblerait un «creux bancaire» tout en améliorant l’estime de soi des entrepreneurs et augmenterait les revenus de l’entreprise et ses actifs, en même temps qu’il favoriserait la création d’emplois.

Résultats concluants

Les résultats obtenus à la suite de cette enquête sont concluants et témoignent de l’incidence positive du microcrédit, lequel devient un outil nécessaire afin d’améliorer le bien-être économique d’un plus grand nombre de Québécois. D’abord, l’analyse de l’échantillon révèle que ce sont les femmes qui ont majoritairement recours au microcrédit (52, 9%). La forte présence des femmes dans la microfinance peut s’expliquer par les caractéristiques des entreprises qu’elles créent et qui font qu’elles rencontrent parfois des difficultés d’accès au crédit bancaire : entreprises plus petites et concentrées dans le domaine des services, insuffisance de garanties, aversion au risque, insuffisance d’expérience antécédente en matière de gestion d’entreprise, responsabilités familiales plus grandes, etc. Or, le microcrédit vient combler les besoins de ce type d’entreprise.

De plus, la majorité des clients qui vont vers le Fonds d’emprunt sont âgés de 30 à 49 ans. Ce sont des personnes qui possèdent de l’expérience dans leur domaine de professionnalisation, qui ont un niveau scolaire entre le collégial et l’universitaire (91%) et qui sont, pour plusieurs, au chômage (41,1%). Également, la grande majorité des crédits accordés (94, 2%) constituent des montants inférieurs à 39 999$, les deux tiers de ceux-ci représentant des prêts inférieurs à 20 000$. Malheureusement, ces montants sont souvent insuffisants et les clients doivent recourir à d’autres formes de financement pour compléter le montage financier de leur projet. L’avantage du microcrédit est toutefois d’offrir des taux d’intérêts relativement bas, 41, 2% des répondants affirmant avoir bénéficié d’un taux situé entre 5 et 10%. leur étude indique enfin que le crédit accordé permet de financer les actifs d’une entreprise (50% des répondants ont acquis des immobilisations) et sont surtout utilisés pour supporter la croissance de celles-ci (85%).

Ainsi, le microcrédit favorise très certainement la création d’emplois à long terme. En effet, leur enquête a révélé que, bien que le microfinancement s’adresse à des entreprises de petite taille, plusieurs finissent par prendre de l’expansion et employer jusqu’à 20 personnes. En ce qui concerne la qualité de l’emploi, le taux de survie des entreprises financées par le Fonds d’emprunt se compare à la moyenne nationale du taux de survie des entreprises de l’OCDE, quel que soit leur profil (environ 50% après 5 ans). Ce résultat vient souligner une fois de plus la pertinence du microcrédit dans un contexte économique difficile, marqué par l’augmentation du chômage. Le microcrédit se pose donc en complémentarité des autres initiatives de lutte contre le chômage et devrait bénéficier du soutien technique et financier dont jouissent les autres organismes d’aide à l’emploi.

Par ailleurs, le microcrédit représente parfois un tremplin pour l’obtention de financement plus important. De fait, 26, 5% des répondants affirment avoir obtenu des prêts bancaires après avoir eu recours au microcrédit. Il semble donc qu’à la suite de l’octroi du microcrédit, les banques ont jugé qu’ils étaient moins à risque et que leur capacité en tant qu’entrepreneurs ne faisait relativement plus de doute.

Cependant, une question demeure : est-ce que ces microentreprises sont rentables et peuvent assurer un revenu de qualité aux entrepreneurs? On peut voir que pour 67, 6% des répondants, les revenus issus de leur entreprise constituent leur principale source de revenus, alors que 79% des répondants y travaillent à temps plein. Aussi, quatre personnes sur cinq ont vu leur revenu familial évoluer à la suite de l’obtention du microcrédit et le pourcentage de répondants dont le revenu brut annuel se situait entre 40 000 et 59 999$ est passé de 8 à 23%. Mais ce qui est encore plus probant, c’est de constater que parmi les répondants qui déclaraient avoir un revenu familial inférieur à 20 000$ avant de contracter le prêt, 75% ont vu leur situation s’améliorer et même 58% ont vu leurs revenus plus que doubler. Si le microcrédit ne peut expliquer à lui seul ces améliorations de revenus et que ceux-ci demeurent inférieurs à la moyenne nationale, il n’en demeure pas moins que les revenus des entreprises du microcrédit sont nettement supérieurs au revenu minimum (Levesque et Mendell, 2000).

Enfin, l’apport quant à l’estime de soi et la satisfaction au travail des entrepreneurs est clairement démontré : pour 61% d’entre eux, l’estime de soi et leur degré de satisfaction a beaucoup augmenté. Pour certains, c’est l’aboutissement d’un rêve, pour d’autres, le sentiment d’être à nouveau valorisé, de se sentir «utile» dans la société, et ce, malgré le nombre d’heures de travail souvent assez important.

De manière générale et pour faire suite à leur expérience, la grande majorité des répondants (80%) sont en faveur du microcrédit et jugent que c’est un outil efficace pour lutter contre ce fléau qu’est la pauvreté. D’autant plus que les plans d’austérité engagés récemment pour réduire les déficits vont certainement contribuer à augmenter le nombre de personnes sans emploi, lesquelles pourront alors se tourner vers des organismes comme le Fonds d’emprunt pour créer leur propre travail. En ce sens, l’appui du gouvernement afin de garantir la pérennité de ces institutions est nécessaire puisqu’elles permettent d’offrir aux populations la possibilité d’accéder à un mode de financement qui saura correspondre à leurs besoins et à leurs situations.

À propos des auteurs

Ayi Gavriel Ayayi est professeur d’économie financière au Département des sciences de la gestion de l’UQTR et directeur scientifique du LARIDEPED.

Alice Justine Ébene , MSC, DESS.