Au cours des dernières décennies, la philosophie d’intervention auprès des personnes nécessitant une réadaptation physique a beaucoup évolué. À l’origine, les soins offerts se concentraient sur l’aspect médical et la réparation des capacités physiques, altérées par un accident ou une maladie. Par la suite, les intervenants en réadaptation en sont venus à considérer non seulement l’incapacité physique, mais également le patient lui-même et son milieu de vie. Dans la foulée de cette évolution de pensée, les milieux d’intervention s’intéressent maintenant à la résilience, soit la capacité d’une personne à poursuivre son développement après un traumatisme. Mais comment favoriser la résilience d’une personne en réadaptation? Le professeur Bernard Michallet du Département d’orthophonie de l’UQTR se penche tout particulièrement sur cette question, pour aider les intervenants à poser un regard neuf sur leur pratique.
«Les personnes vivant des incapacités physiques, ainsi que leurs proches, font face à des transformations personnelles et à des deuils importants sur les plans personnel, familial et professionnel. Pour beaucoup, cette remise en question est douloureuse et s’accompagne de difficultés psychologiques. L’absence de sens à la vie et de soutien adéquat amène bien souvent la personne à se désengager de ses occupations et de ses responsabilités, ce qui constitue un obstacle majeur à la réussite d’un processus de réadaptation. Voilà pourquoi le concept de résilience semble avoir sa place en réadaptation physique, puisqu’il vise à aider la personne à reconnaître ses compétences, à avoir confiance en ses moyens et à garder une attitude active et positive devant l’adversité», explique M. Michallet.
Une approche constructive
En plus de miser sur les forces et les ressources des personnes et de leur environnement, l’intégration du concept de résilience en réadaptation physique propose de prendre en considération les rêves et les projets de vie des individus.
«Il y a des incapacités physiques qu’on ne peut réparer, note le professeur Michallet. Il faut donc amener les personnes à se définir un nouveau projet de vie, à être heureuses malgré les difficultés et à continuer à participer à la société. La résilience sous-entend que des compétences et des possibilités sont latentes en chaque individu et qu’il faut essayer de les actualiser. C’est ici que peut intervenir le thérapeute, en favorisant l’émergence de ces capacités. On parle alors de résilience assistée, d’une relation intervenant-patient fondée sur le partenariat. Le thérapeute n’est plus le seul expert : le patient devient aussi l’expert de sa propre réadaptation et peut trouver des réponses et des solutions à ses problèmes.»
L’utilisation du concept de résilience en réadaptation suppose également, chez les thérapeutes, un mode de fonctionnement d’équipe en interdisciplinarité. L’action concertée d’intervenants de plusieurs disciplines, en synergie avec la personne en réadaptation et sa famille, améliore la qualité des services et favorise la résilience.
«Le concept de résilience indique aux individus en réadaptation qu’il leur est possible de choisir leur attitude devant les événements à affronter. Il les autorise aussi à préciser leurs besoins et leurs objectifs ainsi que la façon dont ils souhaitent être accompagnés par les thérapeutes, dans leur cheminement de résilience. Pour les intervenants, le rôle n’est pas de forcer les personnes à s’engager dans un processus de résilience, mais plutôt de les soutenir dans leur cheminement et de mettre en place les conditions favorisant cette reconstruction identitaire», signale le professeur Michallet.
De la théorie à la pratique
Le concept de résilience fait tranquillement son chemin dans le domaine de la réadaptation physique. Les milieux se montrent ouverts à cette approche, mais il reste maintenant à savoir comment intégrer cette dernière dans les pratiques.
«L’étude de la résilience pose des défis de taille car celle-ci varie d’un individu à l’autre. De plus, la résilience n’est ni linéaire, ni prédéterminée, et sa durée et son rythme diffèrent selon les personnes. Pour aider les milieux à implanter le concept de résilience dans les pratiques, je travaille actuellement à différents projets avec des centres de réadaptation de la province. En collaboration avec les intervenants, nous cherchons par exemple à identifier les obstacles et les facilitateurs à l’introduction du concept de résilience dans les pratiques de gestion et d’intervention. Nous évaluons également les bénéfices de certaines approches déjà utilisées en réadaptation physique, amenant les gens à établir un fil conducteur à leur vie avant et après un traumatisme», rapporte le chercheur.
Convaincu que la résilience assistée favorise la réadaptation physique, le professeur Michallet s’assure de transmettre ses connaissances en ce domaine à ses étudiants en orthophonie. «Mon expérience d’une vingtaine d’années à titre d’orthophoniste clinicien m’a persuadé que l’aspect relationnel avec le patient est aussi important que les compétences techniques, en réadaptation. C’est pourquoi je souhaite transmettre cette conviction aux étudiants. Bien que nous soyons encore aux débuts de l’intégration du concept de résilience en réadaptation physique, je pense qu’il faut sensibiliser les futurs orthophonistes à cette approche afin qu’elle puisse se développer dans les milieux d’intervention», mentionne-t-il.
Le professeur Michallet souligne que la résilience n’est jamais acquise une fois pour toutes et qu’elle ne constitue pas une recette de bonheur. «Mais la résilience demeure tout de même une composante importante du bonheur. Elle aide à affronter ce qui pourrait apparaître comme une fatalité, autant dans l’esprit des personnes en réadaptation que dans celui des intervenants», conclut le chercheur.