Depuis une centaine d’années, les scientifiques savent qu’il est possible de générer une certaine locomotion chez un chat malgré une section complète de sa moelle épinière. Bien que le cerveau ne puisse plus transmettre de signal nerveux vers le bas du corps, l’animal arrive quand même à effectuer des mouvements rythmiques avec ses pattes postérieures. Ces gestes sont possibles parce qu’il existe, ailleurs que dans la tête, des cellules engendrant la locomotion. Ces dernières sont situées dans la moelle épinière et forment un générateur central de patron locomoteur (CPG). Ce générateur demeure toutefois une boîte noire pour les chercheurs qui, malgré certaines avancées, n’en connaissent pas encore tous les mécanismes. Passionné depuis longtemps par ce sujet, le professeur Hugues Leblond du Département d’anatomie de l’UQTR mène des travaux pour mieux comprendre le CPG et la locomotion.
«La locomotion, de même que la mastication et la respiration, sont des fonctions motrices automatiques chez les vertébrés, des rythmes de base fonctionnant sans avoir besoin d’y penser. Il existe un CPG pour chacun de ces automatismes, celui de la locomotion se trouvant dans la moelle épinière au niveau des vertèbres lombaires. En temps normal, des neurones du cerveau envoient des prolongements dans la moelle épinière pour contrôler les mouvements. Cependant, lors d’une blessure de la moelle épinière, ces prolongements sont sectionnés et le contrôle volontaire est perdu : c’est la paralysie. Malheureusement, chez l’humain, il n’existe pas encore de traitement pour la régénération de la moelle épinière. Toutefois, chez l’animal, les scientifiques ont démontré que malgré une paralysie, un entraînement locomoteur permet aux neurones du CPG, situés sous la lésion, de générer une marche automatique en quelques semaines. Cette récupération fonctionnelle de la locomotion peut être accélérée en utilisant des médicaments imitant les commandes du cerveau qui activent le CPG», explique le professeur Leblond.
Souris et tapis roulant
Pour réaliser ses travaux de recherche, le professeur Leblond fait appel aux souris de laboratoire. Ces dernières lui permettent notamment d’étudier l’influence de la proprioception sur la locomotion. La proprioception est la conscience qu’a le corps de sa position dans l’espace, grâce à divers récepteurs l’informant au sujet de sa posture et de ses mouvements.
Chaque année, jusqu’à 500 000 personnes à travers le monde sont victimes de lésions de la moelle épinière.
Source : Organisation mondiale de la Santé (OMS)
«En mettant un animal ayant une lésion de la moelle épinière dans un endroit où il peut marcher, comme un tapis roulant, nous pouvons stimuler un certain retour à la locomotion. Le tapis roulant entraîne les récepteurs proprioceptifs de l’animal et envoie un signal au CPG en lui disant : tu peux marcher. Ces informations proprioceptives jouent aussi un rôle important sur le rythme de la locomotion, contrôlant les phases d’extension et de flexion pendant la marche. La locomotion peut ainsi s’adapter au milieu environnant», rapporte le chercheur.
Pour étudier le cycle de la marche chez la souris, des marqueurs sont installés sur différentes articulations (hanche, genou, cheville, pied) afin de mesurer les mouvements et les angles. Les courants électriques accompagnant l’activité musculaire sont aussi enregistrés. Ces données servent à évaluer quantitativement l’adaptation de l’animal à la marche après une lésion de la moelle épinière. L’influence de substances pharmacologiques sur le rythme locomoteur est également analysée.
«Le modèle de la souris nous permettra aussi d’étudier l’effet de la douleur chronique sur la récupération de la marche après une lésion de la moelle épinière. Cette avenue de recherche, encore inexplorée, mettra à contribution un expert dans le domaine de la douleur, le professeur Mathieu Piché du Département de chiropratique de l’UQTR. Avec sa collaboration, nous chercherons à mieux comprendre l’influence des signaux douloureux dans la moelle épinière sur les circuits locomoteurs», mentionne le professeur Leblond.
Circuits neuronaux et optogénétique
Cherchant à identifier les circuits neuronaux de la moelle épinière générant des comportements musculaires rythmiques chez la souris, le professeur Leblond utilise des techniques et équipements de recherche de pointe. Ceux-ci lui permettent de travailler jusqu’à l’échelle intracellulaire. Il peut ainsi étudier les signaux électriques envoyés par les neurones moteurs aux muscles, ainsi que l’adaptation aux changements (plasticité) de la moelle épinière de la souris, suivant différents types de lésions.
«À plus long terme, nous souhaitons travailler avec des souris transgéniques, lesquelles révolutionnent actuellement la recherche sur la locomotion, souligne M. Leblond. Ces souris ont été modifiées génétiquement afin que certaines de leurs cellules neuronales réagissent à la lumière. Nous pouvons ainsi activer très précisément certains neurones spinaux, par exemple à l’aide d’un laser, et vérifier l’effet neurophysiologique de ces manipulations sur les mouvements moteurs rythmiques. Cette nouvelle approche prometteuse, dite optogénétique, nous aidera à faire progresser les connaissances sur le fonctionnement du CPG de la locomotion.»
En contribuant à une meilleure compréhension des mécanismes de la locomotion, ainsi que de la capacité de réorganisation de la moelle épinière après une lésion, le chercheur veut participer à l’amélioration des traitements offerts aux patients atteints d’une blessure médullaire. «L’ensemble de nos travaux démontre que le maintien des circuits du CPG par l’entraînement locomoteur est nécessaire pour optimiser la récupération fonctionnelle après une lésion de la moelle épinière», conclut M. Leblond.
Le professeur Leblond réalise ses travaux au sein du Laboratoire de recherche en cognition, neurosciences, affect et comportement (CogNAC) et du Groupe de recherche sur les affections neuromusculosquelettiques (GRAN) de l’UQTR. Plusieurs étudiants de cycles supérieurs participent à son programme de recherche.
Nous vous invitons à revoir la conférence Récupération de la marche après une blessure de la moelle épinière qui a été présentée à l’UQTR le vendredi 14 mars à l’occasion de la semaine Cerveau entête.
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