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L’amélioration continue dans les services publics, c’est rentable?

Chaque fois, la question est posée. Une ou un gestionnaire d’un service public entend parler d’amélioration continue et des gains promis, puis se pose inévitablement la question fatale: est-ce rentable de faire de l’amélioration continue? Est-ce que les sommes investies feront économiser de l’argent à notre organisation ou bien, encore mieux, permettra d’engranger plus de profits? À cette question, tout spécialiste du sujet n’aura malheureusement pas une réponse définitive à donner.

Texte rédigé par Pascal Forget, professeur au Département de génie industriel de l’École d’ingénierie de l’UQTR

Un article publié en 2016 [1] a fait beaucoup de bruit dans la communauté d’amélioration continue. Les chercheurs ont conclu, en étudiant de près les données issues d’un vaste projet de déploiement de l’amélioration continue dans le système de santé en Saskatchewan entre 2013 et 2015, que pour chaque dollar sauvé par le projet, il aura fallu investir 1511$. Des chiffres qui devraient refroidir l’intérêt d’une majorité de gestionnaires, vrai?

Des gains dans le secteur manufacturier

Pourtant, les gestionnaires du secteur manufacturier ne se posent plus cette question depuis des décennies. Une idée répandue considère que l’argent investi en amélioration continue rapporte entre 3 et 4 fois l’investissement en économies supplémentaires. Les économies proviennent de partout: réduction des inventaires, des déplacements, des défauts, une augmentation du nombre de produits fabriqués par jour pour le même effort et une plus grande utilisation des équipements.

De plus, dans ce secteur, on utilise l’amélioration continue pour offrir quelque chose de plus que le concurrent: une meilleure satisfaction des clients. Laquelle se traduit habituellement en des ventes plus importantes. Le débat ne fait même plus rage: l’amélioration continue est une condition de survie et de croissance. Elle est ainsi inévitable pour une organisation sérieuse.

Mais alors pourquoi est-ce si difficile de transposer la même rentabilité dans les services publics?

Des gains difficiles à évaluer

Plusieurs raisons expliquent ces écarts. Il y a, bien sûr, le fait qu’il s’agit de contextes et milieux complètement différents. D’un côté, nous avons des processus manufacturiers visibles, des objectifs de croissances et de rentabilité clairs, des concurrents à dépasser et une survie à assurer.

De l’autre, nous retrouvons des processus administratifs plus difficiles à voir, peu ou pas de concurrence et une existence très peu menacée. L’évaluation de la rentabilité a un inconvénient principal lié à son avantage principal: elle se base sur des chiffres, donc sur ce qui se calcule.

Mais que fait-on des gains difficiles à estimer du point de vue de la rentabilité? Des exemples? J’en ai quelques-uns…

Dans une organisation de services publics, l’équipe en place réalise un projet d’amélioration continue visant à réduire le temps de traitement des dossiers de révision de programmes d’études. La durée de traitement initial est estimée à 5 années en moyenne, alors que les demandeurs pensent que 12 à 24 mois serait nettement préférable. Le projet, après l’implantation des changements, réduit effectivement la durée de traitement à 24 mois. Comment fait-on pour évaluer la rentabilité? Avons-nous économisé de l’argent? Non, pas du tout, même qu’un nouveau poste a été créé…

Dans une organisation municipale, on réalise un projet pour revoir le rangement des pièces et outils, de façon à les retrouver plus rapidement et être plus efficace. Le projet est réalisé et est apprécié des employés. Cette fois-ci, avons-nous économisé? Encore une fois, non. Aucun employé n’a été mis à pied, comme promis dans tous les projets d’amélioration, donc aucune économie réalisée.

Dans une organisation d’enseignement universitaire, on réalise un projet pour améliorer le délai d’admission des étudiants, soit de le réduire de 3 semaines en moyenne à 24 heures au maximum. On pense qu’une réponse d’admission plus rapide se traduirait par plus d’admissions au final. À la rentrée suivante, avec ce nouveau délai rapide, les inscriptions qui suivent les admissions explosent! L’équipe du projet d’amélioration crie victoire! Mais à bien y penser, est-ce réellement un impact direct du projet d’amélioration ou plutôt le travail incroyable de l’équipe du bureau du recrutement? Ou bien une vague issue d’une croissance démographique? Ou bien la dernière campagne publicitaire audacieuse ? Ou le travail incomparable des professeurs lors de la dernière journée portes ouvertures? Dur, dur, d’évaluer de la rentabilité.

Difficile de s’en passer

En 1979, Philip Crosby, gourou du mouvement qualité, a prononcé une phrase désormais célèbre en ingénierie: «La qualité est gratuite». Non pas qu’elle ne nécessite pas un investissement, mais que cet investissement sera remboursé par les gains obtenus. L’amélioration continue dans les services publics, qui vise entre autres la qualité, suit une logique similaire. Lorsqu’on travaille à améliorer un service rendu à la population, à réduire un délai de traitement, à limiter l’embauche de nouveaux employés, à faciliter l’accès à un service ou à réduire les documents et formulaires à remplir, il est difficile de calculer l’économie réalisée.

Il y a quelques années, une municipalité québécoise a fermé son service d’amélioration continue, faute de démonstration de sa rentabilité. L’année dernière, pour une raison similaire, une université québécoise a fait la même chose, à la suite de l’arrivée d’une nouvelle équipe de direction (on ne parle pas ici de l’UQTR, rassurons-nous). Clairement, ils ne pensaient pas que «l’amélioration continue est gratuite».

Référence

[1] https://academic.oup.com/intqhc/article/28/2/150/1750317