C’est avec une grande tristesse que j’ai appris tout comme beaucoup de collègues et d’étudiants passés ou actuels, le décès de cette grande dame et amie, Sœur Estelle Lacoursière. Elle a réalisé son grand rêve de poursuivre des études en botanique, rêve qui l’a menée à de riches inventaires de la végétation des différents milieux et surtout au partage de ses connaissances avec des étudiants principalement du baccalauréat en biologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Pionnière dans la protection de la Nature, elle a su aussi rejoindre le grand public par la transmission de précieuses informations sur les végétaux, toujours en évoquant leur valeur essentielle au bien-être de l’humanité.
Dès le printemps 1969, quelques mois avant le début des activités académiques de l’UQTR, j’ai eu l’opportunité ou devrais-je dire le bonheur de contribuer avec elle ainsi qu’avec un bon collègue Guy Vaillancourt à la conception du programme de baccalauréat en biologie, et ce, comme futurs professeurs de la nouvelle université. Cette opération résultait d’une invitation du premier recteur Gilles Boulet qui souhaitait que l’institution trifluvienne s’implique dans le domaine des sciences en offrant un tel programme, et ce, dès septembre 1969. Afin de procéder à cette opération, Sœur Estelle nous invita à se réunir dans une salle de classe du Collège Marie-de-l’Incarnation de Trois-Rivières pour procéder à cette importante activité de création académique. Sur un tableau de l’époque et avec des craies, nous affichions les titres des cours qu’on souhaitait voir retenus ainsi qu’une brève description de leur contenu. Inspirés par les espaces naturels de la Mauricie qualifiés à juste titre par leurs richesses végétales soulignées par Sœur Estelle, l’ensemble du programme fut proposé et offert de façon officielle.
D’ailleurs, notre collègue allait enseigner les cours de botanique, certains théoriques, d’autres pratiques sur le terrain. Elle fut toujours d’une grande compétence alimentée d’une fierté vraiment notable dans ses fonctions. Elle allait y demeurer jusqu’à sa prise de retraite au milieu des années 1990. Elle a su développer un important créneau de recherches sur les composantes végétales principalement de la région de la Mauricie. Compte tenu de mon intérêt particulier de recherches sur les insectes, entre autres les moustiques, Estelle n’a pas hésité à collaborer en faisant l’inventaire des végétaux soutenant le développement de tels insectes vivant dans les milieux aquatiques, notamment les eaux stagnantes. Elle a permis de mieux connaître de tels lieux et de bien connaître leurs composantes végétales comme support à la vie des insectes qui s’y développaient.
Aussi, elle fit partie de l’équipe qui a contribué au premier travail de recherches dans le tout nouveau Parc National de la Mauricie créé en 1971. Un important rapport fut produit soulignant la richesse du patrimoine naturel de ce lieu exceptionnel. Ses préoccupations pour une connaissance accrue de la végétation allaient aussi la diriger vers les tourbières de la Mauricie et vers le Lac St-Paul sur la rive sud du St-Laurent, ce dernier recevant par la suite la reconnaissance écologique et protectrice tant des citoyens que des gouvernements. Elle a aussi contribué à des travaux d’inventaires de la végétation sur le territoire de la Baie-James.
Estelle Lacoursière se faisait toujours un plaisir d’impliquer ses étudiants dans les travaux poursuivis aussi bien à l’intérieur de ses cours que dans ses travaux de recherches; elle les invitait avec grand bonheur sur le terrain, ses activités étant alimentées de données et d’informations originales issues de ses profondes connaissances sur la nature. Il faut aussi souligner sa profonde motivation en proposant puis en réalisant la mise en valeur des composantes naturelles du campus universitaire compte tenu que cet espace urbain renferme des végétaux d’origine ayant été protégés et qu’il est toujours possible d’apprécier par des sentiers agrémentés de panneaux d’informations. Elle avait ce plaisir d’inventorier et aussi d’échantillonner des exemplaires des différents végétaux sur le campus ainsi que dans de nombreux milieux du Québec ce qui l’a amenée à créer un herbier exceptionnel faisant partie des collections de l’UQTR. Les étudiants en biologie et en sciences de l’environnement ont cette opportunité d’accéder à ces collections très diversifiées et de qualité unique. Estelle Lacoursière, cette grande botaniste qui vient de nous quitter a été membre du Conseil Consultatif des Réserves Écologiques, organisme associé au ministère des Terres et Forêts et au ministère de l’Environnement.
En cours de carrière, Estelle Lacoursière a été nommée Membre de l’Ordre de Lavérendrye, a reçu le Mérite Patrimonial Canadien et le Prix de l’Acfas. Aussi, l’UQTR lui a remis un doctorat Honoris Causa en reconnaissance pour son attachement à l’institution ainsi que pour sa contribution auprès des étudiants et du grand public dans la mise en valeur de la nature et dans sa protection pour les générations à venir. Aussi, un sentier pédestre en milieu naturel près du fleuve à Trois-Rivières-Ouest fut nommé en son honneur. Celle qu’on a appelée avec bonté et respect La Sœur Verte demeurera une figure importante et inoubliable dans l’histoire de l’institution trifluvienne et aussi dans le cheminement des amoureux de la nature.
Tout comme ses étudiants, ses collègues universitaires en conserveront un touchant et impérissable souvenir. Tant par nos pensées que par nos visites sur le campus ou dans la nature, elle fera partie de la mémoire de chacun. Un souhait personnel à réaliser serait de conserver et de mettre en valeur son herbier comme faisant partie des trésors référentiels de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Un grand merci Estelle de ta collégialité et de tes implications dans la mise en valeur et dans la protection de la nature. Personnellement, je t’adresse ma profonde reconnaissance pour ton intérêt et ta complicité dans mes travaux, ces derniers étant imprégnés de ta grande appréciation des composantes végétales tant de nos milieux urbains que naturels.
Par Jean-Pierre Bourassa, D.Sc. (biol.)
Professeur émérite de l’UQTR