Université du Québec à Trois-Rivières

«Déficience intellectuelle» : ces mots qui créent un MALAISE!

Nous vous proposons cette lettre ouverte signée par Yves Lachapelle, professeur au Département de psychoéducation.

Cette semaine s’amorce la 26e Semaine québécoise de la déficience intellectuelle (DI), sous le thème Comme on se ressemble! J’ai visionné la capsule promotionnelle des comédiens qui ont personnifié Babine et Gabrielle, soit Vincent-Guillaume Otis et Gabrielle Marion-Rivard (qui vient de remporter le prix Interprétation féminine dans un premier rôle), porte-parole de cet événement. Ce faisant, j’ai griffonné les phrases qui me plaisent le plus.

«On est des gens ordinaires! Acceptez-moi comme je suis! Il faut laisser tomber les clichés, les préjugés, ces mots qui blessent! Chacun a sa place dans la société, peu importe les différences, peu importe qui on est, d’où on vient, si on vit avec une déficience intellectuelle ou pas, du moment qu’on arrive à mener à bien nos projets!».

À première réflexion, nous sommes tous viscéralement d’accord avec ça non? Néanmoins, j’ai ressenti un sincère MALAISE! Œuvrant dans ce domaine depuis très très longtemps, j’ai compris que si je peux répondre oui à ma question, ce n’est pas encore le cas pour la majorité d’entre nous. Parce que, soyons francs, si tel était le cas, nous n’aurions guère besoin d’une Semaine québécoise de la DI? Nous n’aurions pas besoin d’une Gabrielle pour venir nous confronter avec ses souhaits d’avoir un travail, de vivre en appartement, seule ou encore mieux avec son chum Martin, avec qui elle veut avoir du «SEXE». Oh my God! Pourquoi? Elles n’ont pas besoin de ça ces personnes-là! MALAISE…  Reconnaître individuellement et collectivement qu’en principe, toute personne en est une à part entière, n’importe qui peut et doit le faire! Sinon, MALAISE!

Dans cette vidéo, on peut également entendre que l’on souhaite «connaître, vivre et partager notre société en célébrant ces différences, cette diversité!» Ben voyons donc! Vous et moi savons et acceptons cela depuis fort longtemps. Pas besoin que Babine ou Gabrielle viennent nous faire la morale à ce sujet.  Bon, il est vrai que l’Office des personnes handicapées du Québec a publié récemment sa politique À part entière : pour un véritable exercice du droit à l’égalité, dans laquelle elle fait mention de 3 grands défis et 11 priorités d’intervention à cibler d’ici 10 ans pour permettre à ces personnes de vivre à domicile, se loger adéquatement, s’exprimer, communiquer et se déplacer sans contraintes d’accessibilité, de temps ou de coûts, et ce, peu importe leur milieu de vie.  Hum… Y aurait-il incohérence entre le discours et le parcours?

«On ne connaît que les choses que l’on apprivoise… Si tu m’apprivoises, je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres… Et nous aurons besoin l’un de l’autre…»

– Antoine Saint-Exupéry, 1943

Après réflexion et si je comprends bien, nous reconnaissons toutes et tous que ces personnes sont des citoyens à part entière et avons développé une certaine expertise en matière de «quoi faire POUR elles»? Toutefois, nous ne semblons encore guère savoir «quoi faire AVEC elles»? Pourtant, si mon calcul est bon, voilà presque un demi-siècle de consacré à sensibiliser la population à ce qu’est la déficience intellectuelle, à expliquer que ce n’est pas une maladie, un virus ou une bactérie et que ça ne peut pas s’attraper, que personne n’a jamais souffert ou été atteint d’une DI, que ce n’est pas quelque chose que l’on a, mais quelque chose qu’on a pas! La déficience intellectuelle est une combinaison de deux mots qui qualifient la différence d’un groupe de personnes qui ne possèdent pas les capacités intellectuelles et les savoir-faire qui leur permettraient de vivre comme la majorité d’entre nous et d’assumer avec un minimum de risques nos multiples tâches et rôles au quotidien.

Malgré les impressionnantes avancées réalisées sur une courte période de temps, nous vivons actuellement une période fragile et parsemée d’importants défis collectifs (économie, emplois, santé) qui risquent de reléguer aux oubliettes le secteur de la déficience intellectuelle. À qui veut bien l’entendre, il semble que nous devons enfiler à nouveau nos bottines, les attacher solidement et se remettre à marcher dans la même direction que nos babines.

Yves Lachapelle, Ph. D., professeur au Département de psychoéducation de l’UQTR

Yves Lachapelle est professeur au Département de psychoéducation de l'UQTR.

Yves Lachapelle est professeur au Département de psychoéducation de l’UQTR (Photo Annie Brien).

Semaine québécoise de la déficience intellectuelle