Le harcèlement psychologique au travail est un problème sérieux, susceptible d’affecter la santé et la productivité des individus. Selon plusieurs études, le milieu infirmier n’échappe pas à ce phénomène, nuisant à la rétention du personnel et à la qualité des soins offerts. Cependant, malgré ces enjeux majeurs, l’ampleur du harcèlement psychologique en milieu infirmier est encore peu connue au Canada, et plus particulièrement au Québec. Pour apporter un éclairage sur cette question, Sarah-Geneviève Trépanier, doctorante en psychologie à l’UQTR, mène une étude auprès des infirmières québécoises. Les résultats obtenus montrent que 20 % du personnel infirmier est exposé régulièrement à des comportements de harcèlement psychologique au travail. Les répercussions s’avèrent importantes : problèmes de santé psychologique et fonctionnement professionnel sous-optimal.
« Nous avons réalisé notre enquête avec la collaboration de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Au total, 1179 infirmières ont répondu à notre questionnaire, à l’automne 2010. En les interrogeant, nous souhaitions évaluer l’ampleur et la nature du harcèlement psychologique au sein de leur milieu de travail, ainsi que les impacts sur la santé psychologique et le fonctionnement professionnel. Les questions permettaient de mesurer notamment l’exposition à des comportements négatifs, la perception d’être victime de harcèlement, la détresse psychologique, les plaintes psychosomatiques, l’intention de quitter l’emploi et la motivation au travail », de dire Mme Trépanier, qui réalise son étude sous la direction du professeur Claude Fernet, titulaire de la Chaire de recherche UQTR sur la motivation et la santé au travail.
Résultats préoccupants
L’enquête a permis de constater qu’une infirmière sur cinq est exposée à des comportements de harcèlement psychologique en milieu de travail. La notion de harcèlement suppose ici une exposition à deux actes négatifs (et plus) de manière répétée (une fois par semaine et plus) et prolongée (six mois et plus).
D’autre part, l’étude a révélé que seulement 3,8 % des infirmières se perçoivent comme des victimes de harcèlement psychologique au travail. « L’écart entre ce chiffre et le 20 % obtenu pour l’exposition à des comportements de harcèlement est étonnant. Même si de nombreuses infirmières sont exposées à des comportements négatifs, un faible pourcentage seulement se perçoit comme étant victime de harcèlement psychologique. Ce dernier semble donc être vu par les répondantes comme faisant partie de leur travail, de leur profession. Il semble y avoir une certaine banalisation ou tolérance des comportements de harcèlement psychologique dans le milieu infirmier », note la chercheuse.
Le plus souvent, les comportements négatifs rapportés par les répondantes sont reliés à la tâche, et la principale source de harcèlement est identifiée comme étant le supérieur immédiat. « Ce résultat ne surprend pas puisque c’est le supérieur immédiat qui a le pouvoir de déléguer les tâches », fait observer Mme Trépanier. Les collègues de travail arrivent au second rang, comme source de comportements négatifs.
Le harcèlement psychologique
Le harcèlement psychologique se définit comme étant une exposition prolongée à des actes négatifs répétés de la part d’autrui. En milieu de travail, les comportements négatifs peuvent être reliés :
- à l’individu (ex. taquineries excessives, exclusion sociale);
- à la tâche (ex. tâches ingérables, surveillance excessive);
- à l’intimidation physique (ex. bousculade, gestes agressifs).
L’étude menée par l’étudiante montre aussi que l’exposition à des comportements de harcèlement psychologique est associée, chez les infirmières, à plus de détresse psychologique et de plaintes psychosomatiques, à des intentions plus élevées de quitter l’emploi ainsi qu’à une motivation de faible qualité (travailler par obligation plutôt que par choix ou plaisir). Ces effets indésirables sont observés dès qu’il y a exposition à des comportements négatifs, peu importe que l’infirmière se perçoive ou non comme victime de harcèlement psychologique.
L’âge et le sexe des répondants n’influencent pas l’exposition à des comportements négatifs. Toutefois, les résultats fluctuent selon le nombre d’heures de travail. Les infirmières embauchées à temps plein ou accomplissant davantage d’heures supplémentaires sont plus exposées à des comportements de harcèlement. « Ce constat suit aussi la logique, car plus le temps passé au travail est long, plus l’infirmière risque d’être exposée aux comportements négatifs », commente la chercheuse.
Les résultats obtenus par Mme Trépanier montrent que le harcèlement psychologique nuit à la santé et au fonctionnement au travail des infirmières. « Il est important de reconnaître ce problème afin d’assurer la santé psychologique et le bon fonctionnement professionnel des infirmières. Pour prendre soin de ces travailleuses et leur faciliter la tâche, il est souhaitable de diminuer les irritants tels que le harcèlement psychologique », mentionne l’étudiante.
Plusieurs avenues peuvent être explorées pour améliorer la situation. « Il faut sensibiliser le personnel infirmier à propos du harcèlement psychologique, de ses manifestations et de ses conséquences, souligne la chercheuse. L’employeur doit également instaurer et promouvoir des politiques explicites contre le harcèlement psychologique en milieu infirmier, et clarifier la procédure de plainte. Une formation peut aussi être offerte aux gestionnaires pour les aider à reconnaître le harcèlement, de façon à prévenir ou mettre fin aux comportements négatifs. »
Mme Trépanier poursuit maintenant son projet de recherche en effectuant d’autres collectes de données auprès des infirmières. Elle espère ainsi suivre l’évolution des résultats et mieux comprendre les processus par lesquels le harcèlement psychologique affecte la santé et le fonctionnement, au fil du temps.