– Collaboration de Maxime Vallières, étudiant au baccalauréat en études françaises –
Frank Crispino est professeur en criminalistique au Département de chimie, biochimie et physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Pour lui, la criminalistique n’a de pertinence et de valeur qu’au regard des circonstances délimitées par l’enquête. De façon imagée, si on compare l’enquête à un sundae, la criminalistique n’est que la cerise confite qui l’embellit. Mais, par ses attributs scientifiques, la cerise a «une telle densité qu’elle écrase le sundae, c’est-à-dire qu’à elle seule, elle va emporter la conviction.» Voici son plus récent projet.
Imaginons la situation suivante, qui semble tout droit sortie d’un film policier : une femme est retrouvée morte au centre-ville de Trois-Rivières. Naturellement, la nouvelle fait la manchette pendant que l’enquête bat son plein. Sur la victime, les enquêteurs trouvent une trace biologique pertinente, le sperme du possible meurtrier. Ce dernier est bien identifié et il n’y a pas d’incertitudes, ce qui, pour monsieur Crispino, peut être «aisément questionné selon les circonstances.»
Supposons que seuls trois spermatozoïdes aient été retrouvés et aient permis d’identifier le suspect. Ce faible nombre est-il compatible avec celui de plusieurs millions auquel on pourrait s’attendre au regard du contexte (peu de temps après les faits)? L’accusé se défend ; il a un bon alibi. Pourquoi donc son sperme s’est-il retrouvé sur la victime ? D’autres hypothèses sont émises, par exemple, l’utilisation d’un préservatif usagé pour incriminer un innocent. Dans cet exemple, ce n’est pas l’identification de la trace qui a posé problème, mais plutôt ce qui l’aurait générée.
Modéliser l’interprétation des traces
Le projet de Frank Crispino s’inscrit dans cette optique d’interprétation de la trace (verre, cheveux, sang, résidus de tir, traces d’incendies, etc.). Son équipe s’affaire à établir une base de connaissances des modèles existants en ce qui concerne le transfert de traces. Lorsque, par exemple, un individu s’assoit dans un véhicule volé, il laisse des fibres sur le siège et le transfert se fait aussi inversement, du siège à l’individu. Des modèles d’interprétation de ces transferts existent, mais ceux-ci se basent à 90% sur des données australiennes.
«Est-ce que, se demande monsieur Crispino, je peux utiliser la base de données australiennes pour mieux comprendre ce qui se passe au Canada ? Si oui, tant mieux, au moins le travail aura été fait parce qu’on y a réfléchi, mais si non, peut-être qu’il faut justement constituer notre propre base de données.»
Établir une base de données probantes
Réaliser sa propre étude prend du temps, et c’est pourquoi les scientifiques utilisent les données issues de recherches précédentes. Ainsi, certaines données sont toujours utilisées bien que l’équipe de monsieur Crispino puisse les juger non pertinentes en contexte canadien. L’un des objectifs du projet, en cours jusqu’en mai 2018, est d’analyser et de structurer les études pour voir celles qui sont pertinentes à utiliser ici et celles qui le sont moins. On pourrait ainsi déterminer lesquelles bénéficieraient d’être étudiées à nouveau dans les prochaines années.
Avant de devenir professeur à l’UQTR, Frank Crispino a servi dans la Gendarmerie nationale en France. Riche d’une expérience de près de trente ans sur le terrain, il espère désormais amener les futures générations à adopter, notamment par une meilleure interaction entre les décideurs de faits (policiers, juges, etc.) et les scientifiques, un système juridique plus rationnel. «Apporter une voie de réflexion et de développement à la fois de la pratique et de la recherche, c’est le rôle de l’université», estime le chercheur.
Maxime Vallières est étudiant au baccalauréat en études françaises. Il signe ici un texte dans le cadre du projet d’intervention dans la communauté «Rédaction d’articles sur la recherche universitaire», réalisé à l’hiver 2017 en collaboration avec le Vice-rectorat à la recherche et au développement, Elizabeth Marineau, agente de recherche au Décanat des études, la professeure Geneviève Bernard Barbeau, du Département de lettres et communication sociale, ainsi que les chercheurs qui ont généreusement accepté de se prêter au jeu de la vulgarisation journalistique.
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