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Mali : pourquoi cette guerre?

Géopolitique

En ce début de février, cela fait dix ans que je rédige cette chronique de géopolitique. L’un des enjeux majeurs de la géopolitique des relations internationales de cette décennie qui s’achève est le combat entre l’Occident et un ensemble de mouvements que l’on qualifie d’islamistes, de djihadistes ou encore de terroristes; c’est ce que plusieurs auteurs ont qualifié de «choc des civilisations». Depuis trois semaines, ce que les médias appellent «guerre du Mali» n’est en fait que le dernier épisode d’un conflit entre Occidentaux et tenants d’un Islam pur et dur, conquérant et sans compromis.

En fait, le conflit armé dont il est question ici a débuté avec l’attentat contre le World Trade Center de New York, le 11 septembre 2001. Depuis cette date, les États-Unis et les autres États membres de l’OTAN n’ont cessé de faire la «guerre au terrorisme» au Moyen-Orient, en Afghanistan et au Pakistan, jusqu’à éliminer Oussama Ben Laden en 2011. Mais la disparition de ce dernier n’a pas mis fin aux activités des groupes islamistes se réclamant d’Al Qaïda, dont AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique), présent dans toute la zone saharienne du continent africain, en particulier au Mali et dans les États voisins de ce dernier.

Outre la présence d’Al Qaïda, d’autres facteurs contribuent à l’instabilité politique en Afrique occidentale et au Maghreb. En premier lieu, la sanglante guerre civile en Algérie pendant les années 1990 entre le gouvernement et les groupes islamistes armés (FIS, GIA), conflit qui fit plus de 100 000 victimes. Les islamistes furent vaincus et leurs chefs arrêtés, mais un certain nombre d’entre eux se replièrent sur le Sahara et contribuèrent à l’implantation de l’AQMI dans cette région. L’attaque récente du site gazier d’In Amenas prouve bien que les mouvements islamistes sont encore assez bien organisés pour agir sur le territoire du Sahara algérien, malgré l’efficacité de l’armée algérienne pour reprendre le contrôle du site en quelques jours.

Autre facteur important dans la crise malienne : la fin de la guerre en Libye, avec pour conséquence la démobilisation de mercenaires africains (dont de nombreux Maliens) engagés par Kadhafi, et la disponibilité d’un nombre considérable d’armes et de munitions aux mains de ces ex-miliciens, dont une proportion non négligeable a rejoint les groupes islamistes du Sahara.

Un autre élément explicatif du conflit malien, c’est la diversité ethno-linguistique du Mali, comme d’ailleurs de la plupart des États ouest-africains nés de la décolonisation au début des années 1960. La population totale est de 15 millions d’habitants répartis en un très grand nombre d’ethnies, la plus importantes étant les Bambaras (38%). Le tiers sud du pays est peuplé essentiellement d’une dizaine d’ethnies noires, alors que les deux tiers nord, désertiques, sont peuplés de Maures, d’Arabes et de Touaregs. Ces derniers revendiquent l’indépendance ou une très large autonomie pour cette région, baptisée Azawad («territoire de transhumance» dans la langue Touareg, en référence à l’économie de nomadisme pastoral qui les caractérise, par opposition aux agriculteurs noirs du tiers sud du pays). Les Touaregs reprochent à la majorité noire de ne pas tenir compte de leur caractère distinct et du fait que le Nord-Mali a une identité saharienne, très différente de l’écoumène agropastoral du Sud-Mali où se concentre 90% de la population du pays. Une partie des Touaregs, sous le nom d’Ansar Dine («les serviteurs de Dieu» en arabe), s’est alliée aux mouvements islamistes arabes (AQMI et MUJJAO, Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest).

Dernier élément à considérer : la dynamique géopolitique interne du Mali. Après vingt ans d’un régime démocratique exemplaire, et malgré une corruption endémique parmi les politiciens et les fonctionnaires, l’armée a renversé le gouvernement en mars 2012, prétextant l’inefficacité du gouvernement à mater les rébellions islamiste et Touareg. Onze mois plus tard, le pouvoir réel est toujours aux mains des militaires, mais ces derniers n’ont pas pu mater les rébellions qui ont réussi à prendre le contrôle des principales villes du Nord-Mali (Gao, Kidal, Tombouctou) depuis près d’un an, imposant un régime de loi coranique rigide à des populations peu habituées à un tel régime.

(Source: www.lexilogos.com)

C’est dans ce cadre géopolitique très complexe qu’a été déclenchée par l’armée française (à la demande du président intérimaire du Mali) le 10 janvier dernier, «l’Opération Serval», au moment où les groupes islamistes tentaient de s’emparer du Sud-Mali et de la capitale du pays, Bamako. Les forces militaires françaises et maliennes ont réussi à reprendre le contrôle des trois principales villes du Nord-Mali. Le président français, François Hollande, en visite officielle au Mali le 2 février (accueilli en «libérateur» par la population de Tombouctou), a dit vouloir passer le flambeau aux militaires de la CEDEAO (Communauté des États d’Afrique de l’Ouest) qui ont commencé à se déployer en territoire malien depuis la fin janvier.

Selon Le Monde (27 janvier 2013),  «Au cours des crises qu’il a déjà dû affronter sur le continent africain, François Hollande a voulu imprimer un nouveau style. Sans nier le rôle de la France, il cherche à privilégier les solutions apportées par les pays africains eux-mêmes. Ses mots d’ordre : transparence et multilatéralisme».

Et, un peu plus loin : Le 26 septembre 2012 à l’ONU, François Hollande avait tenu des propos qui campaient le débat : «Ce qui se produit au Nord-Mali n’est pas un défi pour les autorités de ce pays seulement, c’est une menace pour l’Afrique de l’Ouest et le Maghreb. C’est également un risque pour l’ensemble de la communauté internationale. Car, quand un territoire grand comme la France est occupé par des groupes terroristes dont le but n’est pas simplement de contrôler une population, de la punir, de la soumettre, mais de constituer une base arrière pour mener des offensives de même nature terroriste sur les États de la région, alors nous sommes devant une menace qui concerne l’ensemble du monde.»

Mais le plus difficile reste à faire, parce que les groupes islamistes ont abandonné les villes du Nord-Mali pour se replier dans les montagnes et les grottes du Sahara, aux confins du Nord-Mali et du Sahara algérien. Une autre sorte de guerre est sur le point de commencer…

Les références de notre blogueur

Jean Cermakian est professeur associé au Département des sciences de l’environnement.

  • Émission Géopolitis de la RTS (Radio Télévision Suisse) sur les mouvements islamistes au Sahel (27/01/2013)
  • Article de la revue géopolitique en ligne Diploweb intitulé «Géopolitique du Mali: un État failli?»